Il est vingt-deux heures. Dehors, la rue est éclairée d’un blanc presque chirurgical par le seul lampadaire visible de là où je suis. Autrement, c’est la noirceur de la nuit, celle qui annonce le sommeil des citadins confinés, depuis un peu plus d’un mois. La rue est déserte, aucun piéton, aucun cycliste, aucune voiture. Personne. Je suis donc là, assis, dans la véranda à préparer le sac à dos que je transporterai le long de mon chemin. Porte-monnaie, coton ouaté, jogging, souliers, eau… Je crois que tout y est. Je mets donc ma tuque, enfile ma lumière par dessus et mets mes écouteurs, lesquels jouent l’air d’une chanson d’Émile Bilodeau et serre mes patins avant de me lever et d’enfiler mon manteau gris.
Il faut comprendre que cette sortie tardive est une tentative de réflexion, sur moi-même, sur la vie, sur mes relations en général mais aussi sur ma façon de vivre mes émotions. La quarantaine qui nous est imposée pèse bien lourd après tout et il est important, on ne se le cachera pas, de garder un peu d’espace libre dans notre tête.
Je sors donc, dehors, dans cet environnement devenu hostile mais toujours plus paisible que le tumulte qui règne dans les esprits ces temps-ci. Je démarre donc mon enregistrement GPS puis me lance sur la rue déserte, à travers l’air frais de la nuit montréalaise, à la recherche de mes idées et d’une partie de mon identité. Je défile donc sur De l’Église, vire à gauche sur Gohier patine les deux cent mètres qui me séparent du parc homonyme puis le traverse. Je vois là un couple, assis paisiblement sur l’un des bancs à se rouler un joint, je ne peux mentir, je les envie un peu, ils peuvent se voir, échanger de vive voix sans avoir la crainte de se faire déranger, tant de choses que je voudrais avoir mais que la situation m’interdit.
J’ai bien hâte que tout cela passe, que l’on arrête l’hypocrisie des « ça va bien aller » parce que non, tout ne va pas bien. La terre se meurt, un virus meurtrier décime les aînés et ce confinement commence sérieusement à faire ressentir ses effets pervers sur cette espèce sociable qu’est l’humain. Alors non, ça ne va pas bien aller, beaucoup de choses vont changer. Lesquelles? Je ne sais pas, seul le temps le dira mais une chose est sûre, une fois que nous en aurons fini avec cette épidémie, nous allons faire ce que l’on sait faire de mieux: oublier. Oublier que ce sont les travailleurs les moins payés qui occupent les emplois les plus essentiels, oublier que la mondialisation n’est pas un système viable, oublier que nous vivons au dépens de la nature et non l’inverse, parce qu’après tout, au Québec, notre mémoire collective s’efface bien vite. Il suffit de regarder la réélection des libéraux en 2015, 18 mois à peine après les avoir chassés du pouvoir, on leur redonne le contrôle majoritaire de l’Assemblée Nationale. Alors comme le disaient les Cowboys Fringants: « Icitte y’a juste les plaques de char qu’y ont encore un ti-peu d’mémoire ». Je ne peux non plus m’empêcher d’avoir une pensée pour tous ces couples qui se seront déchirés à cause de la promiscuité ou de la distance, pour tous ceux qui auront eu beaucoup trop de temps pour « overthink » et qui se seront mis à douter d’eux même ou de leurs partenaires. Pour toutes ces relations qui auraient du se développer et qui à la place n’auront jamais lieu… Pour toutes les personnes qui souffraient déjà dans leur couple et qui s’y retrouvent coincés, pour tous ceux et celles qui doivent composer avec un partenaire violent. Tant de gens pour qui ça ne va pas bien et pour qui ça ne va pas bien aller.
[…]
Je ne prendrai pas la peine de finir ce texte, non seulement parce que la situation a bien évolué depuis (autant de mon côté que d’un point de vue général) mais aussi parce que je n’en ressens pas la pertinence. Mes textes sont des « snapshots », une porte vers un point figé de mes pensées à un moment précis. C’est donc dans cette optique que je prends la décision de ne pas continuer, de laisser mes mots à leur sens original, comme figés dans du formol.